On peut resumer celle-ci en quelques points, qui se retrouvent en filigrane dans la plupart des discours des marchands d’éducation, articulant dogme libéral et neutralisation de toute forme de critique:

1. La numérisation du monde est un processus inéluctable, incontestable, de l’ordre de la nature ou de la science pure et objective. Cette numérisation est extrêmement rapide et déstabilisatrice – certains marchands allant jusqu’à concéder de potentiels dangers, rapidement transformés en autant de défis à relever. Mais s’opposer à la numérisation fait de vous un froussard, un obscurantiste, sinon un Néandertalien menant Ie monde vers Ie temps des cavernes.

2. Cette numérisation est associée à l’affirmation d’un marché mondial de l’education tout aussi inévitable, dans le cadre de la sacro-sainte mondialisation. Les entreprises francaises (ou européennes) doivent participer à cette lutte avec les meilleurs atouts, pour apporter croissance et emplois. Toute forme de resistance est ainsi assimilée (au mieux) à une crispation contre-productive ne pouvant susciter que déclin et chômage.

3. Or, nous dit la EdTech, l’éducation publique est incapable de mener cette lutte; le service public est par nature paralysé par ses pesanteurs bureaucratiques, par la faible flexibilité et productivité d’agents trop prompts a se mettre en grève, désemparés face à un monde réel qui va bien trop vite pour eux, auquel ils ne peuvent ni ne veulent s’ adapter. Plus grave encore, les enseignants du public entraînent avec eux les élèves, les privant de la montée en compétences nécessaire à leur pleine employabilité.

4. Heureusement, des sauveurs sont là: les entreprises privées, seules à bénéficier du capital humain et financier indispensable pour innover, disrupter et deployer l’agilité nécessaire pour gagner ce combat. Qui d’ autre que des marchands pour savoir comment se comporter, sur un marché? Qui d’autre que des entrepreneurs pour former de futurs travailleurs? Cette mission, ils l’acceptent car ils savent être les “dieux de demain”, “ceux qui réussissent”.

ChristopHe caillEaux

Critiques de l’école numérique. Coordonnée par Cédric Biagini, Christophe Cailleaux et François Jarrige. L’échapée, 2019